Dossier : ajouter de la vie aux jours

Accompagner la vie jusqu’au bout

Par 15 juin 2023 No Comments

DOSSIER

UNE SPIRITUALITE POUR VIVRE
AMIDUF N°405 - mai - juin - 2023

Accompagner la vie
jusqu’au bout

Extraits d’un témoignage de Xavier Grenet qui fut pendant 16 ans bénévole à la maison médicale Jeanne Garnier, l’unité de soins palliatifs de notre quartier.

Par Xavier Grenet

Sous des apparences dissemblables, de mêmes réalités et de mêmes exigences se prolongent dans toutes nos rencontres humaines. Quelles qu’en soient les circonstances, l’attention à l’autre nous fait ressentir l’importance extrême de la reconnaissance, ce besoin essentiel inscrit au cœur de l’homme. Nous en prenons une plus claire conscience, lorsque celui que nous accueillons ou à qui nous rendons visite vit un temps de fragilité, qu’il soit dû à la maladie, au chômage, à la pauvreté, comme à tant d’autres accidents de l’existence. Nous mesurons alors la portée universelle de la question du poète, celle du Roman inachevé d’Aragon : « Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre ? ».

Un concert à la maison médicale Jeanne Garnier

DRH. Le désir de devenir bénévole en soins palliatifs est né de ma vie professionnelle dans un groupe du CAC 40 et plus particulièrement de mes fonctions de DRH qui m’ont convaincu de la valeur primordiale de l’écoute et du regard bienveillant, de leur absolue nécessité à l’égard de celles et ceux qui sont en difficulté, faibles ou démuni.e.s.

La grandeur de l’homme… se dit dans la fragilité. À cette première raison personnelle, s’en ajoutait une autre, essentielle. La question de l’homme est l’une des plus cruciales qui soient dans notre société où les courants dominants poussent à n’apprécier les personnes qu’à l’aune de leur utilité et de leurs performances. Cela est patent dans le monde du travail. Et cette même vision risque d’avoir des conséquences dramatiques sur les débuts et la fin de la vie. Mon bénévolat m’en a progressivement fait prendre une conscience plus aiguë : la grandeur de la personne humaine ne vient ni de ses succès, ni de sa force, ni de sa santé, elle ne s’exprime pas dans la puissance, elle se dit dans la fragilité, et jamais ne se mesure à l’apparence. Comme « la beauté de la fille du roi », dans le psaume 45, « elle est à l’intérieur » et ne se dévoile souvent qu’au regard de notre cœur. Dans l’extrême de leur dénuement, les malades en fin de vie demandent notre présence, notre infini respect, notre tendresse.

C’est difficile. Oui, mais vous êtes là. Je conserve au fond de moi, comme un présent inestimable, la parole à peine audible d’une patiente auprès de qui je me tenais, très peu de temps avant son grand passage. Me sentant aussi pauvre qu’elle-même était mal dans son corps, je ne pus prononcer, après un long silence, que ces quelques syllabes : « C’est difficile », auxquelles elle répondit, en me pressant la main de toute sa faible force : « Oui, mais vous êtes là ». La mort commençait de faire son œuvre en elle et son frêle sourire me faisait entr’apercevoir ce qu’était sa vie jusqu’au bout dans une extrême dignité. Comment accepter alors de laisser confisquer le sens de ce mot pour en faire un argument en faveur de l’euthanasie ?

Compter pour les autres. Les personnes malades qui veulent décider de leur mort ont été souvent soignées dans de mauvaises conditions, par insuffisance de propositions de soins palliatifs adaptés, et l’immense majorité d’entre elles ne réitèrent pas leur demande après avoir été prises en charge, nous disent les médecins et les soignants. J’en ai été, à de nombreuses reprises, le témoin. C’était encore, il y a peu, cette dame, désespérée et résolue à en finir, à son arrivée dans la maison médicale, qui me disait, au soir de son cinquième jour, qu’elle venait de vivre l’un des plus beaux moments de sa vie. C’est la raison d’être des soins palliatifs : non seulement de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais de prendre en charge la souffrance psychologique, sociale et spirituelle des patients atteints de maladies graves évolutives ou terminales. Et ceci justifie le rôle des bénévoles : en complément de l’action des médecins et des équipes soignantes, ils contribuent à cette prise en compte de la personne du malade dans toutes ses dimensions.

Les unités de soins palliatifs. Elles sont des lieux où peut être véritablement vécue une éthique de la vulnérabilité : il est faible et je lui dois tout. Que de fois pourtant nous tâtonnons, avec au cœur le profond désir que l’empathie qui nous porte se dise avec justesse, soit en harmonie avec l’état de celui à qui nous rendons visite.

Dans le jardin de la maison médicale Jeanne Garnier

Ce peut être une écoute, un simple bonjour ou de plus longs échanges, un service, ou presque moins, un sourire, une caresse, une présence silencieuse. Parce qu’elles sont une école d’humilité, nos maladresses nous apprennent à nous désencombrer un peu de nous mêmes. Sans cet espace intérieur, quelle hospitalité pourrions-nous offrir à l’autre ? C’est dans ce manque, en revanche, que la gratuité, la grâce nous surprennent. Souvent, nous pensons donner et c’est nous qui recevons. Qu’il est beau, ce mot bénévole, où nous voyons se dessiner en filigrane la bienveillance, le désir de vouloir le bien de l’autre. Et quelle joie de pouvoir contribuer à ce magnifique travail d’humanisation dont les mots d’Isaïe nous livrent le secret : « Tu as du prix à mes yeux, et je t’aime ». Parce que la vie est relation, nous n’existons pleinement que par l’autre. Nous sommes inséparablement responsables les uns des autres. Aussi est-il profondément nécessaire de développer les soins palliatifs et souhaitable, à côté des médecins et des soignant.e.s, d’augmenter également les équipes de bénévoles.

Nous ne sommes jamais seul.e.s. À ceux que freinerait la crainte de n’en être pas capables, je voudrais dire que nous ne sommes jamais seul.e.s dans notre bénévolat, souligner le rôle capital de nos journées de formation et de nos groupes de paroles, comme celui de nos réunions avec les soignant.e.s et de nos permanents échanges entre bénévoles. Dans leur alternance, tous ces temps se complètent et nous préparent à la rencontre des malades, nous ouvrent le regard que nous sommes appelé.e.s à porter sur elles et eux – et qui est, à y bien réfléchir, l’un des noms – et une condition – de l’amour. Quelle que doive être leur issue, sans doute devrions-nous accueillir les débats en cours et à venir sur l’euthanasie et le suicide assisté, comme de vibrants appels à témoigner. Que nous attestions ce que les personnes que nous accompagnons nous permettent de voir et de comprendre : que la présence, l’écoute, la simple gentillesse peuvent être source de paix, de douceur, de sens, jusque dans les moments les plus difficiles ou précaires de l’existence.

Une constante et délicate bientraitance. Bien des valeurs de notre monde se trouvent renversées dans les unités de soins palliatifs, tant ces maisons, qui accueillent l’extrême violence que constitue souvent la mort, respirent le calme et la sérénité. Les patient.e.s en fin de vie y sont l’objet, de la part des médecins et des équipes soignantes, d’une constante et délicate bientraitance à laquelle nous avons la joie d’être associé.e.s. Et leurs mots comme ceux de leurs familles ou de leurs proches pour le dire sont une leçon de vie. La vie jusqu’au bout.