DOSSIER
UNE SPIRITUALITE POUR VIVRE
AMIDUF N°405 - mai - juin - 2023
Pour davantage d’humanité
en fin de vie
Penseur africain,
réflexion sur notre finitude
Focus sur le contexte dans lequel ont pris place les débats de la Convention citoyenne sur la fin de vie et sur les positions élaborées par la Fédération Protestante de France.
Par Bernard Brillet
Le contexte sociétal : plusieurs facteurs contribuent à formuler un souhait d’accélérer la fin de sa vie par une aide active à mourir, euthanasie et suicide assisté : la perte de l’autonomie physique et / ou intellectuelle, réalité fréquente, est aujourd’hui tout simplement insupportable dans une société qui valorise l’indépendance, l’autonomie et la liberté d’action du sujet qui doit se construire lui-même. La « société des individus » renforce en effet leur capacité à mener leur vie comme ils l’entendent. C’est exaltant, mais aussi psychiquement épuisant et, pour certains, cela peut devenir une « fatigue d’être soi », un risque inhérent à ces considérations de performance et d’efficacité, de maîtrise de sa vie et de négation de la fragilité. Par ailleurs, l’affaiblissement des liens familiaux et la quasi-disparition des liens sociaux, en vieillissant, créent solitude et isolement – dont souffrent 60 % des personnes au-dessus de 80 ans – responsables de nombreux suicides et dépressions.
Sur le plan médical, la douleur et la souffrance, psychologique et/ou spirituelle, dues à la dépendance extrême sont parfois si éprouvantes qu’elles empêchent d’investir la vie qui reste.
Elles engendrent perte de sens de la vie, solitude, sentiment d’être un poids pour les autres. Les progrès de la médecine, ont, bien sûr, permis une augmentation spectaculaire de la durée de la vie, avec une qualité de vie satisfaisante. Néanmoins, les pathologies chroniques sont souvent très invalidantes et la technologie médicale prend toute la place.
Les services gériatriques sont insuffisamment développés pour faire face à une demande qui explose, les plans grand âge sont sans cesse ajournés. Par ailleurs, la prise en charge de la douleur elle-même, notamment celle associée au grand âge, est insuffisante.
Les soins palliatifs sont toujours limités et la formation des médecins et des infirmières en soins palliatifs laisse à désirer. Ce sont tous ces éléments sociétaux qui peuvent contribuer à la poussée de la demande d’aide active à la fin de vie.
La nouvelle question éthique du « moyen terme ». La fin de vie, objet de la loi existante, dite Claeys Léonetti, rend possible une « sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour des patients dont le pronostic vital est engagé à court terme et présentant des souffrances réfractaires aux traitements (3 % des cas). Il s’agit alors de dormir pour ne pas souffrir avant que la mort advienne.
Il fuit le temps irréparable…
Cette loi reste très insuffisamment connue, mise en œuvre et évaluée. Or la nouvelle question posée aujourd’hui concerne le moyen terme, une expression floue pour désigner une fin de vie de quelques semaines à quelques mois.C’est dans ce nouveau cadre que la Fédération Protestante de France s’est exprimée pour demander davantage d’humanité en fin de vie, selon les principes qui guident sa réflexion : la vie est un don, une grâce, et la finitude un élément structurant de la condition humaine. Elle s’inscrit dans une interdépendance avec les autres. Les principes de dignité intrinsèque à toute personne et de compassion fraternelle envers les plus vulnérables, disent notre vie collective. Mais la primauté, nouvelle pour nos sociétés, du principe d’autonomie sur celui de solidarité questionne fondamentalement la pratique et l’éthique. Devons- ous maintenir la limite essentielle et stricte, qui prévalait jusqu’alors, du « laisser mourir » institué par la loi Claeys-Léonetti et/ou accepter le potentiellement « faire mourir », en devenir législatif ?
C’est donc face à ce « moyen terme » où serait envisagé le suicide assisté et, éventuellement, au nom de l’équité, l’euthanasie, que nous avons à réfléchir. D’un côté, on peut comprendre que, par peur de souffrances réfractaires à toute solution médicamenteuse ou thérapeutique, par peur en conséquence d’une perte de dignité, et aussi d’être un poids social et financier, une charge pour la famille et les proches, des personnes pourraient se sentir illégitimes de vivre et ressentir une obligation morale à demander la mort. Mais, de l’autre, notre identité n’est pas dans le regard que nous portons sur nous-mêmes mais dans celui des autres, qui, eux, attendent et espèrent de notre relation.
Face à un tel dilemme, le protestantisme est riche de différentes tendances et sensibilités théologiques, notamment sur le principe du suicide assisté et de l’euthanasie. Pour les uns, il relève de la liberté et de l’autonomie de chaque personne de faire son choix en toute lucidité et responsabilité.
À ce titre, peut-être est-il possible d’entendre le patient demander une « aide active à mourir ». Il est possible, selon eux, d’admettre que les normes habituelles de la vie quotidienne soient transgressées par compassion, sans toutefois que la transgression devienne la norme, qui serait suspendue, mais non pas abolie. Pour les autres, réfractaires à un changement de la loi, la légalisation de l’assistance au suicide impliquerait la transgression de l’interdit biblique et social structurant « tu ne commettras pas de meurtre ». La demande individualiste porte atteinte aux liens, à la société. Elle désarme le courage de vivre. Elle s’étendra progressivement, comme en Belgique ou aux Pays-Bas, jusqu’aux mineur.e.s fatigué.e.s de vivre et peut-être aux personnes âgées sans pathologie. Pour ces personnes, une éthique de la protection des plus fragiles, de la vulnérabilité, est essentielle à la vie d’aujourd’hui dans la société française. Il faut donc accompagner la personne jusqu’à la fin, porter le soin de la personne (le care) le plus loin possible avec toutes les possibilités qu’offrent les soins palliatifs, y compris la sédation profonde. L’exemple du Royaume-Uni vient le confirmer : lorsqu’on développe fortement les soins palliatifs, la demande d’euthanasie diminue drastiquement.
De même, leurs positionnements différents conduisent les protestants à avoir des avis opposés sur la légalisation et la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Une majorité s’oppose à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté qui équivaudrait à les banaliser, bouleversant les fondements moraux de nos sociétés.
Certains pensent alors qu’il faut opter pour un régime de dépénalisation, c’est-à-dire que ces actes resteraient des infractions, mais, sous certaines conditions de mise en œuvre, ils n’encourraient pas de poursuite judiciaire. D’autres optent pour le maintien du système de pénalisation actuel, en comptant sur la mansuétude constatée des juges français.
Promouvoir résolument l’accompagnement et le soin. Quelle que soit la position défendue, les protestants plaident pour le développement résolu de l’accompagnement et du soin. L’absence de mise en œuvre d’un plan de prévention, d’accompagnement et de prise en charge du grand âge en France conduit à de grandes souffrances physiques et psychiques.
Ainsi en est-il, par exemple, de la solitude de fin de vie dans beaucoup d’EHPAD (25 % des décès). Au-delà de la dimension médicale, la présence auprès de ces personnes malades ou/et âgées, de personnel pouvant prendre
le temps d’écouter leur histoire comme récit de vie qui fonde leur identité, est essentielle. Un « je » capital dans l’estime de soi et le goût de vivre, au bénéfice aussi des familles et accompagnants. Leur accompagnement doit se construire en collégialité avec les équipes de soins, y compris à domicile. Des expériences de plateformes de soins gériatriques (EHPAD + soins palliatifs + équipes mobiles de soins palliatifs + soins à domicile) existent, en effet, mais sont si rares.
Pour une meilleure prise en charge du grand âge et de la fin de vie. Les protestants, dans leur ensemble, sont sensibles au principe de responsabilité personnelle ainsi qu’à la protection des plus vulnérables. Ce qui humanise la fin de vie, ce sont les liens humains, la plainte entendue, la parole partagée avec les proches. Il est temps de mettre en œuvre une loi de programmation pluriannuelle, évaluée et révisée périodiquement, concernant l’accompagnement du grand âge et de la fin de vie visant à rendre un peu de dignité à ces personnes et, parallèlement, d’espérance à notre humanité. Il convient, en effet, de favoriser et soutenir les métiers du care, notamment pour le maintien à domicile des personnes âgées. Sans attendre cependant, il est impératif de soutenir le déploiement et la pédagogie des soins palliatifs encore trop pauvres en France, qui doivent devenir un véritable droit opposable effectif. À cet égard, il faut, dans l’urgence, promulguer une loi rectificative de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS Rectificatif).
La Fédération Protestante de France, fidèle aux principes structurants qui guident sa réflexion éthique, pense donc qu’il n’est pas opportun d’ouvrir la loi au suicide assisté ni à l’euthanasie par principe d’équité. Il est bien sûr nécessaire, notamment pour les situations dites de moyen terme, de permettre une meilleure prise en compte des situations de souffrance réfractaires repérées et évaluées collégialement. Mais il est surtout urgent d’agir pour un changement de la vision globale et sociétale en faveur du grand âge.
« Je veux mourir chez moi », bande dessinée de Claire Êve et Bourgeois Hugues, Éditions Libra Diffusio