Le premier obstacle, c’est la disponibilité d’un ordinateur ou d’un téléphone portable et d’un accès internet. Cela représente un coût d’équipement et d’abonnement que tous ne peuvent pas se permettre. L’étape suivante, l’accès au site visé, passe par la création d’un espace personnel. Trop souvent les bénéficiaires ont égaré leur identifiant ou leur mot de passe. Le pire c’est quand le numéro de téléphone sur lequel va leur être adressé leur nouveau mot de passe a été volé ou rendu à l’ami qui l’avait prêté… Troisième étape, la navigation sur le site. C’est parfois difficile pour ceux qui ont le français comme langue maternelle maîtrisent l’ordinateur et l’internet. Alors pour des accueillis qui parlent plus ou moins bien français et ont de grandes difficultés à le lire l’épreuve est rude. Qui plus est, la logique et le langage administratifs sont parfois déroutants. Ensuite on aimerait un mail de confirmation et un calendrier indicatif des prochaines étapes.
Voilà que nous nous sommes mis à rêver. Et si les utilisateurs étaient plus écoutés, et si l’administration avait une obligation de traiter les dysfonctionnements signalés dans un délai strict, et si un correspondant pouvait être contacté, un humain pas un chatbox ! L’idée de publier une liste des sites les plus exécrables a été évoquée pour faire honte à ces administrations et pression sur les responsables.
Sur les 31 centres sociaux parisiens 25 offrent des permanences d’écrivains publics. Les réfractaires défendent la position de principe que c’est à l’administration d’accompagner les personnes dans les démarches qu’elle leur impose et non aux associations de pallier ses carences. Mais en pratique, peut-on ne pas venir en aide à ceux qui sont en souffrance, se sentent impuissants face aux exigences de l’administration ? Ce sont les plus précaires, les plus isolés, les plus pauvres, les plus éloignés du langage administratif qui souffrent le plus et parmi eux, les migrants, les femmes, les familles monoparentales… qui n’auront pas accès à leurs droits. Un cercle vicieux qui éloigne encore plus de l’insertion ceux qui sont déjà marginaux. Sans parler des troubles psychologiques graves qui résultent de cette mise en échec, de l’humiliation qui résulte de la dépossession de son dossier, voire parfois de la présomption de malhonnêteté qui affleure.
Si le soutien humain aux démarches en ligne est inexistant de la part des administrations, si France Services comme les associations d’accompagnement connaissent leurs limites, le besoin de trouver un interlocuteur réel, c’est-à-dire vivant, conduit à se tourner vers les médiateurs de la Défenseur des droits. Elle a bien relevé les risques de la dématérialisation à visée d’économie de personnel. Dans son rapport de 2022 sur la dématérialisation des services publics, elle notait dès l’introduction : « la dématérialisation, telle qu’elle a été conduite jusqu’à présent, s’accompagne d’un report systémique sur l’usager de tâches et de coûts qui incombaient auparavant à l’administration. Portant atteinte au principe d’égal accès au service public, cette situation met également en danger notre cohésion sociale, notre sentiment d’appartenance commun et fait courir le risque d’un affaiblissement de la participation démocratique dans toutes ses dimensions ». Elle appelle ensuite au « maintien d’un accès alternatif et d’un accompagnement suffisamment proche, compétent et disponible » en parallèle à la voie dématérialisée.
Nous avons des raisons objectives, nombreuses et variées de partager cette analyse.